(1) Fusillier M.O., Mémorial de l'adjudant Henri Caron, p. 7.

(2) Ibid., p. 8.

(3) Poids : 32 t. Moteur : diesel G.M. 6-71 de 410 Hp. Armement : 1 canon M3 de 75mm et deux mitrailleuses de 7.62mm

(4) Fusillier M.O.,Mémorial de l'adjudant Henri Caron, p. 15.

(5) La 2e compagnie perd deux chars et a trois tués, dont un dans le char "Montereau" de la 1ère section, celle du "Romilly".

(6) Né en 1908, Raymond Dronne, après un doctorat en droit, des études en sciences poilitiques et de journalisme, devient administrateur colonial. Lors de la défaite de juin 1940, il se trouve au Cameroun et décide alors de rejoindre la France Libre où il combat au côté du Col. Leclerc. Grièvement blessé en Tunisie, il prend le commandement de la 9e Cie du III/RMT en août 1943, grande unité de la 2e DB. Après guerre, il se lancera dans une carrière politique au côté du Gal de Gaulle en étant sénateur puis député de la Sarthe, son département d'origine, jusqu'en 1978. Il fut maire d'Ecommoy où il meurt en 1991.

(7) Lors de sa création en 1943, cette compagnie comprenait 146 Espagnols sur un effectif total de 160 hommes. Anciens de la guerre d'Espagne dans le camp républicain, s'ils n'avaient pas l'esprit militaire, ils étaient toutefois, d'après Raymond Dronne, "de magnifiques soldats, des guerriers courageux et expérimentés".

(8) Engin blindé semi-chenillé

(9) Dronne Raymond, Carnets de route d'un croisé de la France libre, Ed. france-empire, 1984, p. 329.

(10) la 3e section est retenue à la Croix de Berny.

(11) Il s'agit de la 2e section de combat (Adjudant Cancel) de la 3e compagnie du 13e bataillon de génie.

(12) Les deux autres chars de la section sont en panne.

(13) Witasse Jacques (de), L'odyssée de la 2e compagnie de chars, Ed. lyonnaises d'art et d'histoire, 1990, p. 169.

(14) Coapéhen Pierre, J'étais dans le char historique, 2004, p.93.

(15) Fusillier M.O., Mémorial de l'adjudant Henri Caron, p. 14.

- Il était le chef du char Romilly -

L'ADJUDANT HENRI CARON

trouve la mort dans les combats de la libération de Paris

Au numéro 168 de la rue du Temple à Paris, le passant peut remarquer une plaque commémorant la mémoire de cinq personnes tuées dans une fusillade lors de la libération de la capitale le 25 août 1944. Parmi ces noms, on peut lire celui de l’adjudant Henri Caron, le chef du char " Romilly ". Ce char eut l’insigne honneur d’entrer le premier dans Paris insurgé.

Destin tragique mais exceptionnel que celui d'Henri Caron qui, refusant la défaite et l’asservissement de la France, décidait dès 1940 de continuer le combat en rejoignant le général de Gaulle. En cette première année de guerre, ils ne furent que quelques milliers dans son cas. Il fallait du courage. Cette décision signifiait une véritable rupture avec leur vie passée, leur famille et la France sous la botte allemande. Ils s’appelaient les Français libres. Henri Caron en était un.

Henri Caron est né le 15 mai 1915 dans une famille d’agriculteur à Cormont, petit village proche d’Etaples (Pas-de-Calais). En octobre 1936, il part effectuer son service militaire au 509e régiment de chars de combat stationné à Maubeuge. Maintenu sous les drapeaux fin 1938 après la crise de Munich, il est nommé caporal au début de la guerre. Environ deux semaines après l'attaque allemande du 10 mai 1940, il se retrouve enfermé dans la poche de Dunkerque avec une blessure à la cuisse. Réussissant à s’embarquer le 30 mai sur le contre-torpilleur " Le Foudroyant ", il débarque en Angleterre où il est dirigé vers l’hôpital d’Hexham pour y être opéré quelques jours plus tard.

« Un sacrifice pour libérer nos familles »

Dans son journal, débuté à la déclaration de guerre, il note le 26 juin 1940 : « A 0h35, les hostilités sont arrêtées entre la France et le bloc Allemagne-Italie. (...) Je ne rentrerai en France que sous un régime autre que celui d’Hitler car je crois que la France, libre et plus grande encore, renaîtra un jour tôt ou tard » 1 . Paroles prophétiques où Henri Caron montre toute sa détermination à lutter jusqu’au bout. Sorti de l'hôpital le 18 octobre, il s’engage dès le lendemain dans les Forces Françaises Libres (FFL) : « Jour mémorable pour moi. Il y a quatre ans que je suis dans l'armée. Ce jour, je signe un engagement dans l’armée du général de Gaulle comme sergent. Ma décision est grave, mais c’est un sacrifice pour libérer nos familles des Allemands » 2 . Il est affecté à la 2e compagnie de chars des FFL qui va longtemps stationner au camp d'Old Dean.

Il quitte l’Angleterre le 30 août 1941 avec son unité pour entamer un périple de plus de 12000 kilomètres qui va le conduire d’abord au Congo Brazzaville rallié à la France Libre. La compagnie remonte ensuite vers le Tchad, puis le Cameroun avant de s'installer durant une année à Kano (Nigeria) où, équipée de chars légers américains M3 " Stuart ", elle va parfaire son entraînement. En février 1943, c’est le départ, sans son matériel, pour l’Égypte. En juin la compagnie part en Tripolitaine, à Sabratha, où elle va former, avec deux autres compagnies FFL, le 501e régiment de chars de combat (501e RCC) lui-même incorporé dans la 2e division de la France Libre (2e DFL) du général Leclerc. Elle y demeure jusqu'à fin août. Resté en Égypte, Caron ne retrouvera son unité qu'à Constantine (Algérie) alors qu'elle fait route vers le Maroc.

Henri Caron à Kano (Nigeria) en 1942.

École de conduite en mai 1942 à Kano où la 2e Compagnie s'entraîne. Elle est alors équipée de chars légers américains M3 "Stuart". De gauche à droite : Coatpéhen, Caron, Treguer.

En effet les événements viennent de s'accélérer. La décision a été prise de transformer la 2e DFL en division blindée et de la rééquiper avec du matériel américain. Elle est ainsi rebaptisée " 2e division blindée " (2e DB) le 24 août 1943. Étant un des trois régiments de chars de la division, le 501e RCC rallie en septembre 1943 un camp près de Casablanca afin de percevoir son nouveau matériel. Les équipages sont constitués. Henri Caron sera le chef d’un char M4 A2 " Sherman " 3 . Il aura sous ses ordres : François Jaouen (pilote) - Pierre Coatpéhen (tireur) - François Collon (aide-pilote) - Roland Hoerdt ( radio chargeur). Les deux premiers sont des Bretons du Finistère qui ont ralliés la France Libre dès 1940, le troisième est un Parisien et le quatrième un Alsacien tout juste âgé de 18 ans. Le char et son équipage intègrent la 1ère section (commandée par le lieutenant Michard) de la 2e compagnie (commandée par le capitaine de Witasse).

Un mois plus tard la division fait mouvement pour s’installer dans un camp d’entraînement près de Rabat. En février 1944, on procède au baptême de son char désormais appelé " Romilly " (numéro matricule 420613) en présence de sa marraine, Mlle Bruneau. Le 10 avril 1944, c’est l’embarquement pour l’Angleterre. Aussitôt arrivé, le 501e RCC s’installe dans le camp de Huggate. Le 1er juillet, Caron est nommé adjudant. Depuis le débarquement en Normandie le 6 juin 1944, il piaffe d’impatience de reprendre le combat et de délivrer sa terre natale.

Le 3 août, il débarque avec la 2e DB en baie de Carentan. Il laisse exprimer sa joie et son émotion : « Nous débarquons sur le sol de France à cinq heures. Mon premier geste fut de faire le signe de la croix et d’embrasser le sable. Il y a de grandes circonstances dans la vie. Celle-là en est une. Après quatre ans deux mois et trois jours, rien, n’est plus beau que de retrouver ce qu'on a perdu ». 4

C’est le début de l’épopée de la division Leclerc. Le 12 août, le " Romilly " reçoit son baptême du feu dans la forêt d’Ecouves 5 près d'Alençon. Le 22 août en soirée, la 2e DB reçoit enfin l’ordre de foncer sur Paris afin d’aider les Parisiens qui viennent de se soulever contre l’occupant. Le lendemain, plus de 200 kilomètres sont parcourus sur deux axes principaux. Le 24, la progression reprend. Le groupement tactique auquel est rattaché le 501e RCC remonte la Nationale 20. Le «Romilly» atteint successivement Arpajon, Montlhéry, Ballainvilliers, Longjumeau, puis Antony en fin d’après-midi où il détruit deux canons antichars.

Le char "Romilly" et son équipage à Antony le 24 août 1944. Allongé sur le char, Jaouen. Debout de gauche à droite : Hoerdt, Caron, Coatpéhen. Il manque Collon.

Également à Antony. L'équipage pose avec des Françaises venues célébrer leurs libérateurs. Debout au centre, l'adjudant Caron. A droite, Coatpéhen. Accroupi tenant une petite fille, Collon (avec des lunettes sur le front).

Mais la progression ralentit sérieusement devant la résistance allemande qui bloque le groupement tactique à la Croix-de-Berny. Le général Leclerc, venu sur place, est furieux, car la 2e DB ne pourra pas atteindre Paris avant la nuit. C’est alors qu’il aperçoit le capitaine Dronne 6 à la tête de la 9e compagnie (surnommée la " Nueve " 7 ) appartenant au 3e bataillon du régiment de marche du Tchad (RMT). Cette compagnie d'infanterie portée sur half-tracks 8 est composée très majoritairement d'anciens républicains espagnols réfugiés en AFN et qui se sont enrôlés dans la 2e DB en 1943. Alors qu'il était en train de déborder le dispositif allemand par l'est où il ne rencontrait que très peu de résistance, Dronne reçoit l'ordre de revenir sur la RN 20.

- « Dronne qu’est-ce que vous f... là ? »

- « Mon général, j’exécute l’ordre que j’ai reçu : me rabattre sur l’axe d’attaque au point où nous sommes ». (...)

- « Il ne faut jamais exécuter les ordres idiots ! » 9 lui répond Leclerc.

Le général lui donne l’ordre d’atteindre Paris avant la nuit en évitant les points d’appui allemands afin de prévenir les Parisiens que la division sera là le lendemain. Pour renforcer les deux sections de la " Nueve " disponibles 10 , Dronne réquisitionne sur le champ une section du génie 11 ainsi que trois chars qui se trouvent à proximité. Il s’agit du " Champaubert ", du " Montmirail " et du Romilly " de la 1ère section 12 de la 2e compagnie du 501e RCC. La colonne s’ébranle à 20 heures. La joie est teintée d’une appréhension légitime. S’enfoncer au cœur de Paris, toujours tenue par plus de quinze mille Allemands, ne s’annonce pas comme une partie de plaisir.

- « Je pars en tête», annonça le lieutenant Michard, le chef de section.

- « Ah non, Louis, c’est à mon tour d’être char de tête et je ne cède ma place à personne » 13 , rétorqua l’adjudant Henri Caron.

Le " Romilly " sur la place de l’Hôtel-de-Ville

Derrière la jeep du capitaine Dronne suivent, dans l’ordre, le half-track de commandement, une section de la " Nueve " (cinq half-tracks), puis le " Romilly ", le " Montmirail », le " Champaubert ", la section de génie et enfin la seconde section de la « Nueve ». La colonne traverse les faubourgs, entre dans Paris par la porte d’Italie puis se faufile dans les rues de la capitale en évitant soigneusement les positions allemandes. Aidée par des Parisiens enthousiastes, elle arrive sans encombre en vue de l’hôtel de ville alors que la nuit tombe. L’adjudant Caron fait stopper le " Romilly " sur la place de l’Hôtel-de-Ville devant l’entrée principale. Il est 21h22.

Bientôt la foule en liesse arrive et entoure les véhicules. Le " Romilly " est assailli. Caron et ses hommes sont happés par des centaines de Parisiens qui veulent embrasser leurs libérateurs tandis que le bourdon de Notre-Dame se met à sonner à toutes volées dans cette nuit chaude d’août. Moments inoubliables ! Le capitaine Dronne donne ses consignes pour la nuit. Car cette petite troupe de 130 hommes avec une quinzaine de half-tracks, deux GMC et trois chars est entourée de forces ennemies cent fois supérieures ! L’équipage fatigué par cette journée de folie s’endort à même le sol au pied de son " Sherman ".

Paris, le 24 août au soir. A peine positionné en face de l'entrée de l'Hôtel de Ville, le "Romilly" est pris d'assaut par les Parisiens venus fêter leurs libérateurs.

Le lendemain matin, le capitaine Dronne (au centre) donne ses ordres pour l'opération de dégagement du central "Archives". Il est entouré par deux de ses subordonnés, le SC Bernal (à gauche) et le lieutenant Granell (à droite). Ce sont deux Espagnols engagés dans la 2e DB après avoir combattu dans les rangs républicains durant la guerre civile. Au second plan, le soldat Pirlian, chauffeur du capitaine.

Caron s’effondre, touché aux jambes

Le lendemain matin, retour aux dures réalités de la guerre. Des résistants viennent prévenir le capitaine Dronne que les Allemands sont en train de miner le central téléphonique situé entre la rue des Archives et la rue du Temple. Vers 9h15, l’opération pour les déloger est lancée. Tandis qu'une colonne se dirige vers la rue des archives, le " Romilly " en compagnie d'éléments de la " Nueve " et de FFI, doit remonter la rue du Temple en direction de la place de la République. Les témoignages à ce moment du récit divergent. Voici la version la plus plausible :

Le char stoppe une vingtaine de mètres au-delà du central téléphonique. L’adjudant Caron descend alors de son blindé et se dirige à pieds vers la place de la République pour se rendre compte de la situation. Des FFI lui auraient signalé la présence d’un char ennemi. C’est à ce moment qu'une fusillade éclate. On tire des fenêtres de l’immeuble faisant face au central téléphonique. Pierre Coatpéhen, le tireur du " Romilly " lance à son chef : « Mon adjudant ne restez pas là, c’est trop dangereux ! ». Henri Caron lui répond : « Peter, apporte-moi des chargeurs de PM ! » 14 . Ça tire maintenant de tous les côtés. Deux soldats de la " Nueve " sont grièvement blessés, un troisième est tué ainsi que trois FFI. Coatpéhen riposte à la mitrailleuse depuis son char en essayant d’éviter les Parisiens qui agitent des drapeaux tricolores depuis leur fenêtre ! Mais personne n’a remarqué un tireur ennemi embusqué dans la bouche de la station de métro " Temple ", d’où une rafale d’arme automatique part. Henri Caron s’effondre, touché aux jambes. Il perd abondamment son sang. Coatpéhen saute du " Romilly " et traîne son chef vers le trottoir pour le mettre à l’abri. Une équipe de la Croix-Rouge le prend alors en charge, puis le transporte, pratiquement exsangue, à l’hôpital Saint-Louis. En début d’après-midi, l’adjudant Henri Caron rend son dernier soupir. Il avait 29 ans.

Fusillade rue du Temple. Le "Romilly" (à gauche) est à l'angle de la rue Dupetit-Thouars. Des FFI et des policiers essayent de se protéger des tirs de snipers. L'adjudant Caron s'est avancé vers la bouche de métro "Temple" qui se trouve cent mètres devant le char. Arrivé à 25 mètres, un tireur embusqué le vise pratiquement à bout portant en le blessant mortellement.

La fusillade est terminée. Des policiers parisiens posent devant le "Romilly" d'où émerge de la tourelle la tête de Roland Hoerdt. Le policier André Peseux (au centre avec un casque américain), mobilisé dans une unité de chars en 1940, va remplacer au pied levé Henri Caron. Il sera grièvement blessé dans les Vosges à Anglemont le 1er octobre 1944.

Henri Caron avait consacré toute son énergie pour libérer la France du joug nazi. D'une lucidité remarquable dans ses choix, ainsi que d'un patriotisme sans borne, il n’avait jamais douté dans sa décision de poursuivre la lutte dès 1940. Après sa mort, on retrouva une lettre écrite début 1944 et qu’il destinait à ses parents. Voici un extrait : « (...) Je veux que les jeunes sachent ce que signifie le mot France. Quatre ans et demi me séparent de vous. Si vous avez gardé confiance, conservez mon idéal. Après mai 1940, je me trouvais comme dans un bateau sans gouvernail au milieu des océans, mais je n’avais pas à réfléchir pour combattre les Allemands. Sans conseil, mon chemin était tout tracé... » 15 .