(1) dit des "cinq mille avions".

(2) S.H. Défense - Département Air 2B12. D.M. n°971-1.0-RS/EMAA du 20 août 1938 ("Création de l'Ecole de Romilly").

(3) Mémoires (non publiées) du LCL Ozanne. Ancien polytechnicien, Jean Ozanne commandera le groupe de chasse I/2 en 1944-1945.

(4) C'est l'actuel "Hôtel de Champagne" situé rue de la Boule d'Or .

(5) Unité chargée, entre autres, du soutien des formations stationnées sur la base aérienne.

(6) Extraits de lettres transmis par le COL. Bordes (courrier en date du 12 août 1999).

(7) Témoignage enregistré à son domicile le 29 novembre 1999. Le LCL Flament est issu de l'école des EOA. En 1940, il était affecté au groupe de chasse I/2.

  LA BASE AÉRIENNE ET L'ÉCOLE DE PILOTAGE

1938 - 1939

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Les élèves de la promotion 1937 de l'École de l'air effectuèrent un stage de pilotage à Romilly durant l'été 1939. Ils sont ici photographiés devant les Petites écuries de Versailles quelques semaines plus tôt.

Début 1938, devant la montée du péril nazi, le gouvernement français prit enfin la décision d'un véritable réarmement. En mars, l'état-major de l'Armée de l'air sortit de ses cartons le "plan V"1 qui fut aussitôt accepté par le ministre de l'Air, Guy La Chambre. Ce plan prévoyait la création d'une école de perfectionnement au pilotage réservée aux jeunes officiers sortant des grandes écoles militaires. Cette école devant démarrer dès le 15 septembre 1938, il fallait choisir un site déjà existant, sous-employé, présentant des possibilités d'extension, disposant d'aérodromes annexes à proximité et enfin pas trop éloigné de la région parisienne. Romilly répondait parfaitement à ces critères, sa base aérienne s'étant quelque peu assoupie depuis la dissolution en 1934 du magasin général d'aviation n°1 et son remplacement par l'établissement secondaire de l'EAA301.

Par la décision du 20 août 19382, le ministre de l'Air créait l'école sur la base aérienne de Romilly-sur-Seine sous l'appellation officielle d'Ecole de Romilly. La Belle Idée allait s'en trouver métamorphosée.

Les travaux d'agrandissement de la base aérienne

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Plan de la base aérienne en 1939

L'accueil d'une telle école nécessitait le doublement des capacités d'hébergement ainsi que la construction de nouvelles installations aéronautiques. Début 1939, les travaux menés tambour battant démarrèrent par la construction de nouveaux casernements pour la troupe, les sous-officiers et les élèves pilotes.

Sur l'aérodrome, une nouvelle extension fut décidée, cette fois-ci au sud-ouest et au nord-est, en employant une procédure d'urgence grâce à un décret-loi du 30 octobre 1935 permettant d'accélérer les expropriations. Le 1er février 1939, l'armée de l'Air prit ainsi possession de 39 hectares supplémentaires portant la superficie de la base aérienne à environ 227 hectares dont 200 pour l'aérodrome. Les travaux les plus importants concernèrent l'édification de cinq grands hangars métalliques demi-tonneau : deux de 120m x 60m sur la nouvelle parcelle acquise au sud-ouest, deux autres de 80m x 60m au sud-est et le cinquième de 80m x 60m en bordure de la route nationale.

Enfin, la construction de vingt-deux préfabriqués de type Fillod permit à quarante nouvelles familles de cadres de s'installer à la Belle Idée. Mais cela n'allait pas suffire à couvrir tous les besoins, loin s'en faut.

L'insoluble problème du logement des cadres

Le manque récurrent de logements destinés aux cadres atteignit son paroxysme avec l'arrivée de l'école. Le problème était insoluble à court terme. Ainsi, le nouveau commandant de la base aérienne dut trouver refuge dans un hôtel de Nogent-sur-Seine, celui du groupe de chasse, à Troyes. Les élèves pilotes, jusqu'à la livraison en juin 1939 des casernements spécialement construits à leur intention, durent se loger dans les hôtels de Romilly voire même dans les communes environnantes.

Le témoignage du lieutenant Ozanne3 venu de Dijon pour prendre le commandement à Romilly de la première escadrille du groupe de chasse est assez éloquent : "L'arrivée à Romilly fut sinistre. Aucune autre possibilité de logement que l'hôtel du Chemin du Fer4, parfaitement minable. (...) J'ai eu un énorme coup de cafard en prenant possession de la chambre qui m'était affectée. A peine éclairée par une porte vitrée et une fenêtre donnant sur la galerie, elle était presque totalement occupée par un grand lit et un minuscule lavabo. Autour, pas de table, une chaise et juste la place de déposer mes bagages. (...)

En ce qui me concerne, ma résolution fut vite prise. Seul, un lieutenant administratif célibataire, ancien de Romilly et misogyne, habitait sur la base aérienne dans une baraque désaffectée où il s'était installé. (...) Je l'ai très vite rejoint dans sa thébaïde. Je me suis aménagé une très grande chambre, dans une pièce qui avait servi autrefois de cuisine. Retapissée elle avait bonne allure. L'ancien office qui la jouxtait me servait de salle de bain, sans baignoire naturellement, mais l'évier était tout à fait suffisant pour faire, le matin, ma toilette à l'eau froide. J'avais, pour le chauffage, acheté un poële à bois et équipé d'une hache l'ordonnance qui faisait le ménage. Il pouvait ainsi démolir progressivement l'autre extrémité de la baraque pour m'approvisionner en combustible. (...) Je bouquinais, j'écoutais la radio et j'étais très heureux pendant les quatre soirées que je passais chaque semaine à Romilly. Sur le plan travail, l'année que j'ai passée à Romilly a été extraordinaire. (...)"

Missions, organisation, effectifs de l'école et de la base aérienne

Le centre-école était chargé de compléter l'instruction des officiers tout juste brevetés à leur sortie des écoles de pilotage d'Avord et de Villacoublay où la sélection entre les spécialités "chasse" et "bombardement/reconnaissance" avait été effectuée. Les élèves effectuaient à Romilly environ une soixantaine d'heures de vol en trois à quatre mois, soit dans le groupe de chasse, soit dans celui des multimoteurs. Outre le perfectionnement, ils devaient également s'aguerrir sur des anciens avions d'armes ainsi que recevoir les notions indispensables que doit connaître le jeune officier dans l'accomplissement de son métier au sein d'une escadrille. C'était en quelque sorte une école d'application mais sans en avoir le titre.

Hormis les Caudron C.635 "Simoun", voire les Morane 230, le matériel trop souvent obsolète n'était absolument pas adapté aux avions modernes que ces jeunes officiers allaient devoir piloter en unités. L'Armée de l'air avait bien lancé des programmes d'avions écoles ou de transformation modernes, mais aucuns de ces appareils n'étaient encore sortis d'usines au début 1939. Seuls les tous premiers Caudron C.445 "Goéland", devant remplacés avantageusement les vieux LeO 20, eurent le temps d'arriver avant le repli de l'école sur Etampes. Les NAA 57, achetés aux Etats-Unis, arrivèrent un mois trop tard pour être mis en service à Romilly.

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Le commandant Terrasson

Caudron C. 635 Simoun

Défilé du 14 juillet 1939 sur l'aérodrome

Prévue pour recevoir jusqu'à 150 élèves par stage, les moyens aériens mis à la disposition de l'école étaient assez conséquents. 120 avions (70 pour la chasse et 50 bimoteurs) figuraient ainsi dans l'effectif officiel. En fait, la consultation de seulement une trentaine de carnets de vol permit de dénombrer plus de 180 appareils entre octobre 1938 et août 1939. Il faut dire que la casse fut importante !

Quant aux effectifs de la base aérienne, ils augmentèrent considérablement à partir de septembre 1938 pour atteindre en août suivant environ 1300 personnes civiles et militaires dont 50 officiers et 350 sous-officiers. Cette augmentation eut pour conséquence la création du bataillon de l'Air5 n°133 le 1er janvier 1939 en remplacement de la compagnie de l'Air 3/102. Devenue une des plus grandes bases de l'est de la France, elle avait maintenant fière allure.

C'est le commandant Terrasson (nommé lieutenant-colonel en janvier 1939) qui fut chargé de créer puis de commander l'école et la base aérienne. Précédemment affecté au centre d'essai (CEMA) de Villacoublay, ce brillant officier était également un pilote chevronné à l'expérience impressionnante.

Les promotions d'élèves

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Sous-lieutenants pilotes en 1938

Aspirants de l'Ecole de l'air en 1939

Les premiers élèves pilotes de l'École de l'air (promotion 1936) arrivèrent à la fin du mois d'octobre 1938. Les travaux d'agrandissement de la base n'ayant pas encore débuté, seuls les futurs pilotes de chasse, au nombre de vingt-cinq, rallièrent la Belle Idée. Le second stage démarra début mars 1939 avec des EOA, des polytechniciens et un saint-cyrien. Un groupe de cinq officiers de marine côtoya ces deux premières promotions en séjournant à Romilly de janvier à fin avril 1939. La promotion suivante constituée d'aspirants de l'École de l'air (promotion 1937) rejoignit Romilly au début de juin 1939. Arrivée au complet avec ses 103 élèves, elle inaugura le stage "multimoteurs". Ce fut également la dernière.

Quelques uns de ces pilotes épingleront leur nom au tableau des as français de la seconde guerre mondiale. Parmi eux citons Gabriel Gauthier, Robert Thollon, Pierre Villacèque, René Challe, Michel Madon, Marcel Rouquette, Henri Jeandet, Marcel Hébrard, René Pomier-Layrargues, etc.

Le groupe de chasse

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Morane 230 en vol

Spad 510

Dewoitine 500

Carnet de vol de l'aspirant Mine (14 au 21 juin 1939)

Carnet de vol du sous-lieutenant Giraud (10 au 24 mai 1939)

Le stage de chasse comprenait essentiellement l'apprentissage de la voltige. Les élèves débutaient sur Morane 230 avec un moniteur, puis seul à bord. Ensuite, après avoir effectué quelques vols sur Mureaux 113 ou 115, ils étaient lâchés sur avion de chasse déclassés de plus en plus puissants : Nieuport 622 - Spad 510 et/ou Dewoitine 500. Sur ces deux derniers avions, ils reprenaient toute la gamme des exercices de voltige appris sur Morane 230. Enfin, ils effectuaient quelques vols sur Caudron C.635 "Simoun" pour l'initiation à l'hélice à pas variable et aux volets d'intrados.

Faute de disposer d'appareils de transformation modernes, l'école était donc obligée d'utiliser des anciens chasseurs qui présentaient pour ces jeunes pilotes inexpérimentés pas mal de chausse-trappes. En conséquence, les accidents furent légion. Tel était le cas du Nieuport 622 qui avait la fâcheuse tendance, si l'atterrissage était un peu brutal, à rebondir comme une balle de ping-pong. Inévitablement tout ceci se terminait par un superbe pylône, voire un capotage.

L'aspirant Bordes affecté au groupe des multimoteurs note dans ses lettres6 adressées à sa famille : "3 juillet 1939. Mes collègues chasseurs ont déjà démoli dix avions depuis le début du stage. (...) Ils coûtent plus cher que nous à l'Etat (...)." "8 juillet 1939. Les chasseurs continuent de casser des avions. C'était le quinzième avant-hier. Mais pas de blessés. Pas le moindre bobo."

Autre anecdote, celle du sous-lieutenant Robert Flament7: "Je devais effectuer un vol sur Spad 510. Moi, je me méfiais toujours et j’essayais de décoller en survitesse. Je prenais de la vitesse au sol le mieux possible en me disant : « Sait-on jamais ! ». Et ce jour-là, j’ai décollé perpendiculairement à la route nationale qui était garnie d’arbres d’un bout à l’autre. Les casernements étaient juste en face. Je mets la gomme, ça tourne bien. J’avais à peine décollé quand le moteur s’est arrêté. Alors, j’ai fait ce qu’il ne faut pas faire d’après le bouquin de pilotage : j’ai viré. Mais j’avais un peu de survitesse. Je me suis reposé. Et j’ai fini ma course dans le poulailler d’un bistrot des Granges au milieu des « Boup ! Boup ! Boup ! ». Il y avait des plumes partout. (...) On est venu me chercher et en rentrant on a pris un p’tit Pernod au bar. Il était bon le Pernod !"

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Accident d'un Nieuport 622

Quant au Dewoitine 500, le constat était encore pire. Il partait parfois, lors de figures "déclenchées", en vrille à plat. Les élèves avaient reçu la consigne de ne tenter aucune manœuvre pour récupérer l'avion, mais de sauter en parachute le plus rapidement possible ! C'est ce qui se produisit le 26 août 1939, lorsque le sous-lieutenant Yves Bouillanne exécuta un tonneau déclenché à bord de son appareil. Instinctivement, ses camarades restés au bord de la piste crièrent : "Saute ! saute !" Mais le sous-lieutenant Bouillanne essayait désespérément de reprendre en main son avion... Quelques secondes plus tard, il s'écrasait dans un champ. Tué sur le coup, ce fut le premier mort de la promotion. Le premier d'une longue liste.

Le groupe de multimoteurs

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LeO 20 sur le tarmac

Potez 540 n°59

L'entraînement des apprentis pilotes de bombardement ou de reconnaissance se résumait essentiellement en tours de piste avec ou sans moniteur, suivis de vols aux instruments en PSV (pilotage sans visibilité). Le groupe disposait de deux types d'appareils bimoteurs : le LeO 20 antique biplan de plus de 22 mètres d'envergure et le Potez 540, avion plus moderne bien que déjà dépassé. L'activité aérienne étant devenue très importante au-dessus de l'aérodrome, la plupart des vols avaient lieu sur les terrains annexes de Sézanne/Saint-Rémy et surtout du camp de la Perthe.

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A bord d'un Leo 20 en vol

André Bordes évoque une nouvelle fois ses souvenirs : "(...) En fait, le terrain se cachait en plein milieu de la forêt de la Perthe, à vingt kilomètres à vol d'oiseau de Romilly. Au sol, on y accédait par une petite route blanche, comme on n'en voit plus. (...) On installait d'abord le "starter". C'est à dire qu'au centre approximatif du terrain, après s'être assuré de la direction du vent, on posait le "T" de toile blanche peinte, retenue au sol et qui matérialisait les sens des décollages et des atterrissages. (...) Un lourd extincteur sur roue était descendu du camion non loin de là, ainsi que la cantine de matériel médical d'urgence. (...) Le starter armé d'un drapeau officiait donnant les autorisations de mouvement pour atteindre la ligne de départ. (...) Tout se passait sans radio pour la bonne raison que les avions-écoles n'en possédaient jamais. (...) Si une partie des élèves se rendait à la Perthe par camion, les veinards le faisaient en avion. Qui n'a pas volé sur LeO 20 en passager arrière, au cœur de l'été, cent mètres au-dessus de la campagne champenoise, ne peut imaginer l'ivresse de ces vols. (...) D'abord nous survolions les peupliers de la Seine, et le calme du canal, enfin l'Aube suivie de landes désertes aux odeurs de buis et en quelques minutes, la forêt de la Perthe. Et là, à tour de rôle, nous prenions le manche de ce grand biplan dont les ailes traînaient presque par terre. Nous ne nous éloignions guère, encore timides et surveillés. Nous avions conscience de vivre la fin d'une époque. (...)"

La guerre et le repli de l'école sur Etampes

Au mois d'août 1939, la situation internationale se dégrada rapidement avec les nouvelles revendications territoriales de l'Allemagne, cette fois-ci sur la Pologne. Le 23 août, le coup de tonnerre de la signature du pacte de non-agression germano-soviétique laissait les mains libres à Hitler. Le spectre de la guerre se profilant à l'horizon, le gouvernement Daladier décida aussitôt de rappeler les premiers contingents de réservistes. En cas de conflit, la base de Romilly, localisée en "zone des armées", devait se transformer en terrain d'opérations et l'état-major de l'Armée de l'air avait prévu, dans une telle éventualité, de transférer l'école en "zone de l'intérieur" et plus particulièrement sur la base d'Etampes/Montdésir. Le 27 août, l'ordre arriva et en quarante-huit heures les 180 avions, la centaine d'élèves ainsi que l'encadrement avaient rejoint leur nouvelle affectation où le stage se termina deux à trois semaines plus tard. Entre-temps, le 3 septembre, la guerre avait été déclarée.

Rebaptisée "Ecole d'Etampes", elle connut à la fin novembre une évolution importante lors de la refonte des écoles de l'Armée de l'air. Son groupe de bimoteurs traversa la Méditerranée pour fonder une nouvelle école à Marrakech. La partie chasse resta à Etampes en devenant l'école de pilotage principale n°1 (EPP 1) accueillant aussi bien les officiers que les sous-officiers.

Lors de l'attaque allemande de mai 1940, la plupart des 140 élèves pilotes passés en un peu moins d'une année à l'Ecole de Romilly n'avait pas plus de 300 heures de vol à leur actif. Certains se couvrir de gloire, mais beaucoup d'autres succombèrent. En 1945, cinquante-six d'entre eux (soit 40% de l'effectif) n'eurent pas la chance d'assister à la défaite de l'Allemagne nazie.

 
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